L’interview de Philippe Boussemart, Président du Mur Manteau
UN PLAIDOYER POUR LA MASSIFICATION DE LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE

Le 18 janvier 2023, dans une interview accordée à Batiactu, Philippe Boussemart, le Président du Groupement du Mur Manteau, réagissait à une étude britannique. Réalisée par des chercheurs de l’Université de Cambridge, elle met en cause la pérennité des gains énergétiques en rénovation. Pour Philippe Boussemart, il y a tout lieu d’émettre de fortes réserves sur la validité des conclusions de l’étude dans le cadre de la situation en France.
En particulier, la prédominance constructive du mur creux, un système très répandu au Royaume-Uni, mais inusité en France, met en cause la pertinence de l’étude pour notre marché. À cela s’ajoutent les vérandas (les fameux ‘conservatories’ chers aux Britanniques), dont la performance thermique est déplorable quasiment par définition.
En parallèle, Philippe Boussemart exhorte les pouvoirs publics à déployer, une bonne fois pour toutes, les ressources et les moyens requis pour s’attaquer au problème des passoires thermiques avec toute l’urgence qui s’impose.
Propos recueillis par Corentin Patrigeon pour Batiactu
Quelle a été votre réaction en prenant connaissance de cette étude ? Et que pensez-vous des sujets qu’elle soulève ?
Philippe Boussemart :
Elle a provoqué un effet d’annonce allant à l’encontre du discours majoritaire sur le sujet. Aujourd’hui – et c’est ce qui fait que cette étude est incomplète – il y a énormément de bénéfices sanitaires qui ne sont pas pris en compte et qui sont pourtant importants en France.
Dans notre pays, nous avons très peu de murs creux et la pose d’ITE ne donne pas les mêmes résultats étant donné que nous ne sommes pas dans les mêmes systèmes constructifs qu’en Grande-Bretagne. La consommation d’énergie n’est pas non plus comparable : on consomme majoritairement du gaz outre-Manche ; or les chercheurs se sont basés sur l’évolution de cette consommation cinq ans avant et cinq ans après la réalisation des travaux, et les autres systèmes de chauffage ne sont pas considérés dans l’étude.
Celle-ci présente donc plusieurs biais. Par exemple, les ménages ayant réussi à dégager un peu d’argent grâce aux travaux d’isolation ont réussi à étendre leur superficie habitable en construisant notamment des vérandas, qu’il faut ensuite chauffer ! Et ces extensions ne sont pas vraiment des modèles d’isolation : avec du verre et de l’aluminium, nous sommes pour le moins sceptiques sur leur performance énergétique.
Il y a aussi des aspects qui ne sont pas pris en compte, comme les co-bénéfices sanitaires. Des études françaises beaucoup plus sérieuses ont démontré cela, et d’ailleurs les chercheurs britanniques reconnaissent eux-mêmes que l’isolation permet de stabiliser la consommation d’énergie des logements et que des recherches supplémentaires doivent être menées sur le sujet. Je dirais donc que cette étude a fait le buzz car elle va à contre-courant.
En tant qu’industriel de l’isolation, comment analysez-vous l’intérêt des chantiers d’isolation pour le marché français ?
Philippe Boussemart :
Encore une fois, il y a un co-bénéfice sanitaire extrêmement important : une étude de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) reprise par l’Opecst (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) affirmait en 2018 qu’un euro investi dans la rénovation énergétique des logements assure une économie de 0,42 centimes dans les dépenses de santé. Une autre étude de France Stratégie publiée en novembre 2022 sur le coût d’abattement des logements, c’est-à-dire le coût que va représenter la baisse d’émissions de CO2 (dioxyde de carbone) dans le parc résidentiel, avance que le co-bénéfice sanitaire d’une rénovation globale et performante peut se chiffrer à 7700 euros/an.
Par définition, les habitants d’une passoire thermique limitent déjà leur consommation énergétique. Un rapport de la Cour des Comptes a démontré que l’État français pourrait économiser jusqu’à 10 milliards d’euros par an si l’ensemble des passoires thermiques était rénové d’ici 2028. L’étude britannique demeure par conséquent sérieuse mais elle est adaptée au parc immobilier anglais, et ne peut donc pas être transposée sur le parc français. Il y a suffisamment d’études et d’experts qui ont prouvé que la rénovation était bénéfique sur les plans énergétique, sanitaire et écologique.
Dès lors, quelles sont vos propositions pour lutter contre les passoires thermiques ?
Philippe Boussemart :
Nous demandons un plan choc contre les 4,8 à 5,2 millions de passoires thermiques que compte notre pays. Nous militons pour une simplification et une massification des aides, et la fin du saupoudrage, qui nous semble contre-productif, afin de résoudre totalement le problème des logements énergivores. Si l’on faisait 500 000 rénovations par an, on ne parlerait plus du problème dans 10 ans. Nous savons tous que la rénovation globale est la plus performante sur tous les plans.
Certes, entre un geste, deux gestes et une rénovation globale, il y a un fossé financier très important ; c’est pourquoi il faut viser la rénovation globale et performante en adoptant une démarche cohérente et réfléchie, en une fois. Concrètement, cela veut dire s’occuper d’abord de l’isolation et de la ventilation, et ensuite du chauffage avec une ENR (énergie renouvelable) bien dimensionnée. Mettre une PAC (Pompe à Chaleur) dans un logement mal isolé peut, par exemple, engendrer des déperditions énergétiques.
Comme nous n’avons pas les moyens financiers de tout faire, il faut structurer la démarche. Mais avec déjà 7,6 milliards d’euros de Ma prime rénov’ et des CEE (Certificats d’Economie d’Energie), on n’est plus très loin des 10 milliards nécessaire pour l’éradication des passoires thermiques. Il faut donc une politique publique plus forte accompagnée d’une sensibilisation des ménages aux questions d’efficacité et de sobriété énergétiques.
Estimez-vous être entendu par les pouvoirs publics ?
Philippe Boussemart :
Des conseillers d’Olivier Klein (le Ministre du Logement, NDLR) semblent assez intéressés pour arrêter le saupoudrage et encourager la massification afin de régler définitivement le sujet et pouvoir passer à autre chose. Le ministère réfléchit éventuellement à monter une zone d’expérimentation prioritaire sur les villes de Clichy et Angers (dont les maires sont Olivier Klein et Christophe Béchu, Ministre de laTransition écologique, NDLR).
Autant le passage du CITE (Crédit d’Impôt pour la Transition Energétique) à Ma primerénov’ a été un marqueur fort du précédent quinquennat, autant l’éradication des passoires thermiques pourrait en être un autre dans le quinquennat actuel. En parallèle, le Sénat va lancer une commission d’enquête sur la pertinence et l’efficacité des politiques publiques de rénovation énergétique, et nous allons demander à être auditionnés dans ce cadre pour participer à ce débat essentiel pour la société.