Osons faire de la rénovation énergétique une priorité industrielle d’une France plus résiliente face aux crises

LA TRIBUNE DU MONITEUR EN DATE DU 21 AVRIL 2022

À l'aune du récent rapport du Giec et dans le contexte géopolitique européen qui démontre notre dépendance aux importations énergétiques, GreenFlex/EnergieSprong et une vingtaine d'acteurs du secteur de la construction et de la transition énergétique plaident pour faire de la rénovation énergétique une priorité industrielle en France.


À l’heure où paraît le rapport du GIEC, qui rappelle la douleur multi impacts que va causer et cause déjà le changement climatique (conséquences en termes de biodiversité, de santé et de pauvreté) et où la tragique situation géopolitique actuelle démontre la fragilité des économies européennes dépendantes d’imports énergétiques issus de pays peu démocratiques, la première des solutions – bien trop peu au cœur des conversations – devrait être la réduction massive et structurelle de la consommation d’énergie.


Entre la solution « changer de pays fournisseurs de gaz » dans 1 an, et investir dans des moyens de production « électrique » qui seront prêts dans 10 ans (au plus tôt), il est sidérant de voir que l’option « rénover mieux » et « devenir plus efficace en énergie » dans les mois et années à venir est reléguée bien loin dans l’ordre des solutions à ces crises. Cela alors que les bâtiments résidentiels sont le lieu de la consommation – peu efficace – de 30 % du gaz en France. Il ne s’agit pas seulement d’engager des actions temporaires de sobriété telle que « baisser son thermostat de 1 °C quelques mois », mais d’investir pour diminuer radicalement et définitivement le besoin énergétique notamment en isolant les bâtiments à un haut niveau de performance.


L’efficacité énergétique ne peut plus être la 5e roue du carrosse, elle doit devenir la priorité n° 1. C’est à se demander s’il est suffisamment partagé et reconnu qu’entreprendre des rénovations performantes des bâtiments fonctionne : l’Ademe a montré de façon éclatante la performance de rénovations globales à basse consommation ou zéro énergie industrialisées. Des exemples de réussites existent à l’échelle de milliers de logements et le plan France Relance les a utilement soutenues ; il faut maintenant oser passer le cap des millions de logements à rénover ainsi et bien plus vite.


L’automne dernier, lorsqu’il a fallu définir 10 priorités industrielles pour la décennie à venir, décarboner l’industrie, notre production d’électricité et la mobilité ont été choisies comme des chantiers prioritaires – et ils le sont – mais la création de champions industriels de la rénovation énergétique des bâtiments ne l’a pas été. Pourtant, cela représente une opportunité économique majeure : 40 % des émissions de gaz à effet de serre et 40 % de la consommation d’énergie de l’UE proviennent des bâtiments.


Faire émerger des leaders industriels de la rénovation énergétique performante


La France a su faire émerger des champions à l’export de la ville durable : avec les transports en commun, la construction de trains, le génie civil, la gestion et le traitement de l’eau et des déchets… Nous devons désormais faire émerger des leaders industriels de l’efficacité et de la rénovation énergétique très performantes. Des grands groupes, ETI et PME développent des solutions prometteuses, mais il faudrait faciliter le développement de leurs marchés.

À l’heure où l’Allemagne a acté dans l’accord de son nouveau gouvernement comme une priorité de faire émerger une filière industrielle de la rénovation et où Tesla affirme regarder avec intérêt le marché de l’habitat, la France ne doit pas se laisser distancer. Et si l’on se lançait le défi de développer des isolants bas carbone deux fois moins chers ? Et si l’on envisageait de bâtir des gigafactories pour produire des façades isolées préfabriquées dans chaque région française ? Et si l’on définissait des référentiels de rénovation performante pour permettre à des offres industrialisées d’émerger ? Et si l’on adaptait les modes de financement de ces rénovations lourdes en repensant l’économie des projets ? Il faut rendre ces rénovations très performantes en termes d’énergie et de confort d’usage, bien plus désirables et bien plus abordables : 15 millions de logements français peuvent techniquement être rénovés industriellement à un niveau d’étiquette énergie A ou B.


La vision industrielle de cette crise géopolitique et climatique ne peut être que défensive et ne soutenir que les industriels énergie-intensifs. Notre politique industrielle doit être offensive et soutenir massivement, dans leur développement, les industriels dont les solutions permettent de diminuer les consommations énergétiques. Il faut consacrer des moyens structurés, stables et massifs au changement de braquet en soutenant de façon coordonnée d’un côté les acteurs de la demande – bailleurs sociaux, collectivités, foncières, copropriétés, particuliers – et en soutenant d’un autre côté tout autant les acteurs de l’offre –entreprises travaux, architectes, bureaux d’études, artisans, mainteneurs – qui investiront pour s’engager dans des projets d’industrialisation de rénovations rapides, globales et très performantes et qui accompagneront la montée en compétence de leurs équipes.


Faire de la rénovation énergétique la 11e filière clé et prioritaire de la France


C’est à 11 joueurs que la France est devenue championne du monde de football, osons faire de la rénovation énergétique la 11e filière clé et prioritaire de la France industrielle de 2030. La rénovation énergétique souffre de moins faire la une des magazines que le nucléaire ou les voitures électriques. Pourtant, c’est la base essentielle sur laquelle repose le succès d’une transition écologique réussie. Donnons-lui enfin la place qu’elle mérite dans nos priorités financières, énergétiques et industrielles.


Redonner une résilience climatique et énergétique à nos territoires et sortir massivement les ménages de la précarité énergétique en France, et en Europe est une passionnante aventure industrielle. Elle mérite au moins autant d’attention que la conquête de l’espace ou l’exploration des abysses. Résoudre cette crise énergétique et géopolitique passera aussi par la diversification de nos approvisionnements et la production de biométhane. Mais il faut « en même temps » industrialiser la baisse de nos consommations.


Signataires


Sébastien Delpont, Directeur d’EnergieSprong France et Directeur associé de GreenFlex – Frédéric Sternheim, Président de Rabot Dutilleul Construction – Alban Lapierre, Président d'Alterea – Julien Szbala, Directeur général de Nobatek / Inef 4 – Philippe Boussemart, Directeur général Sto France et Président du Groupement du Mur Manteau – Jacques Pestre, Président du Club de l’Amélioration de l’Habitat – Pascal Chazal, fondateur du Campus Hors Site – Glen Demousseau, PDG de Amzair – Hélène de Troostemberg, PDG de Build Up – Dominique Pelissier, Secrétaire général de Techniwood – Michel Veillon, Directeur général de Ossabois – Raphael Claustre, Directeur général de Île de France Énergies – Vincent Legrand, Directeur général de Dorémi – Mathieu Garcia, PDG de Emenda – Christian Brodhag, Président de Construction 21 – Édouard Lefebure et Philippe Roué, dirigeants de Maisons E-Loft – Guillaume Loizeaud, Directeur de Batimat – Sébastien Fournier, co-fondateur de Synerpod – Charles Arquin, Associé de Pouget Consultants – Jean-Luc Sadorge, Directeur général de Pôle Fibres Énergivie.